Les perles de la Vologne : un trésor lorrain disparu
Marie Lecinska et les duchesses de Lorraine portaient des bijoux avec des perles provenant des Vosges. Jusqu’à l’industrialisation de la région, la Vologne regorgeait de mulettes productrices de perles d’eau douce. Une production renommée et réputée pour ses vertus en France comme en Europe.


A quelques kilmètres d’Epinal, les eaux de la Vologne ont été pendant des siècles fréquentées par les chasseurs de perles. Ceux-ci y venaient dans l’espoir de trouver des perles d’eau douce sécrétées par la mulette allongée. Cette moule vivait et se reproduisait dans le cours principal et celui de son affluent le Neuné. Et plus précisément dans la partie basse de la rivière puisqu’en d’autres endroits de la rivière et de son affluent on n’en trouvait pas. De nos jours, on en parle au passé, car celle-ci a disparu à l’aube du Xxème siècle victime de son succès et de l’industrialisation de cette région connue pour, notamment, pour ses papeteries et ses productions textiles.
Des perles recherchées depuis la Renaissance
La mulette et ses trésors sont mentionnés dès 1513 dans les archives. Un cartouche illustrant une carte de Lorraine gravée par Martin Waldseemüller porte cette mention : « In hoc flumine reperiuntur margaritæ », qui indique clairement « On trouve des perles dans ce fleuve ». Très vite, les ducs de Lorraine ont compris l’importance de la perle de Vologne pour asseoir leur pouvoir et faire de présents diplomatiques de valeur. Dans cette optique, le duc de Lorraine Ferry III aurait fait édifier la maison forte de Château-sur-Perle aujourd’hui disparue pour garder un œil sur la Vologne, surnommé La Perle.
Une production enviée par ses voisins puisque Symphorien Champier, médecin du Duc Antoine, écrit en 1533 dans son ouvrage Campus Elyseus Galliae que l’on trouve « en Lorraine que l’on trouve (…) des fontaines si fertiles en pierres précieuses et en perles que la plus grande partie de la Germanie se sert de ces perles qui non seulement sont appréciées par les experts étrangers, mais sont de plus préférées aux indiennes et orientales ».

De la poudre de perle pour se brosser les dents
Les perles de la Vologne ne sont pas seulement recherchées pour leur orient et ses nuances, mais aussi pour ses vertus thérapeutiques... Elles amélioreraient la vue, nettoieraient les dents et purifieraient. Des qualités mises en avant par les apothicaires qui recommandaient l’usage de la poudre de perles pour fabriquer des dentifrices. Pour cela, elle était mélangée à de l’ambre, du musc et de la civette pour améliorer son goût et la parfumer.

Une pêche réglementée
La notoriété des perles de la Vologne a obligé les ducs de Lorraine à réglementer sa pêche. Ainsi au 18e siècle, trois trois « gardes perles » surveillent le cours de la Vologne entre juin et août. Les mulettes qui ont une espérance de vie pouvant aller jusqu’à 150 ans produisent des perles blanches, grisées, rosées, jaunâtres ou roussâtres. Leur diamètre fluctue entre 2mm et 8mm (la grosseur d’un petit pois). Au début du XVIIIe Antoine de Chesnel composa une ode à cette moule perlière : Vénus, au cours d’un périple qui rencontre la Vologne, admire ses eaux limpides et ses abords fleuris et veut s’y baigner. « Elle entre, et s’ébattant comme fait une anguille, elle enfante un fœtus couvert d’une coquille”.

Joséphine de Beauharnais et les perles de la Vologne
Si on a peu l’occasion aujourd’hui d’admirer des perles de la Vologne, on peut cependant en voir en observant les tableaux d’époque. Dom Calmet relate que Marie Leczinska, devenue reine de France, portait à la cour des bijoux ornés de perles vosgiennes. Cependant, elle n’était pas la seule à affectionner ces précieuses perles. Mais, rien n’indique qu’elles venaient de la Vologne… En revanche, les archives mentionnent que la duchesse Élisabeth-Charlotte d’Orléans (1676-1744), épouse du duc Léopold Ier (1679-1729), possédait deux colliers et une paire de pendants d’oreilles en perles de la Vologne. En 1762 c’est au tour des petites-filles du roi Stanislas de recevoir en cadeau plusieurs perles de la Vologne. Joséphine de Beauharnais reçut également des perles à l’occasion d’un de ses séjours à Plombières. L’impératrice venait prendre les eaux dans l’espoir de guérir sa stérilité. En 1806, elle reçoit en présent un bracelet réalisé en perles de la Vologne.

À son retour à la Malmaison, elle a tenté d’acclimater les perles dans les bassins du parc. Malheureusement, la reproduction de la mulette nécessite plusieurs conditions préalables et sa tentative ne fut pas couronnée de succès. Joséphine avait oublié que les truites et le gardon sont indispensables à la reproduction de la mulette. Et même, si elle y était parvenue, il en aurait fallu énormément puisqu’on trouve une perle une fois sur 1000. Les bassins de la Malmaison n’auraient pas suffi pour faire de la mytiliculture.
Grandeur et déclin de la perle de Vologne
À partir du XIXe siècle, la bourgeoise et la noblesse locale s’entichaient des perles de la Vologne. Tout le monde les voulait à son bras, à son doigt ou à son cou. À tel point que les lits des rivières étaient pillés pour en retirer des milliers de coquilles. Une frénésie qui a entraîné la disparition de la perle d’eau douce en Lorraine comme dans d’autres régions françaises où on en cherchait (la Lozèe entre autres ). Peu à peu, la pêche de perles de la Vologne s’est tarie jusqu’à disparaître. À cela plusieurs raisons :
les recherches des perles par des pêcheurs ignorants et peu scrupuleux
l’accroissement de la population et la modification du cours de la Vologne. Le cours a été dressé, les bas-fonds comblés et les rives aplanies et défrichées
la prolifération des usines sur son cours,
les produits chimiques utilisés par les papeteries, et par le blanchiment des toiles à Lépanges et à Deycimont.
Aujourd’hui, on peut se souvenir de ce trésor lorrain en se promenant sur les sentiers de randonnée qui longent le cours de la Vologne. A défaut de perles lorraines, on peut aussi porter de jolis bijoux en perles d’eau douce tout aussi flatteurs que leurs illustres ainés.